28.3.04

L'homme aux raquettes qui s'agitent (épisode 20)

"Les METAR annoncent enfin CAVOK. Cela fait quelques semaines que j'attends cette conjonction d'évènements : CAVOK, un avion et je suis disponible. Je vais enfin pouvoir faire ma seconde nav solo : St-Cyr <-> Deauville. Après autant d'attente, l'impatience commençait à se faire sentir, mais on me l'avait dit. Pendant l'hiver, il est toujours difficile de faire ses vols comme on le prévoit. Cette fois-ci, c'est bon. Deauville ne peut plus m'échapper."

J'ai révisé et révisé et révisé cette navigation avec FS2004. J'ai installé toutes les scènes qui vont bien. Mis à jour mes LandClass. Calculé et recalculé mes estimées. Déroulé ma nav sous IVAO, en solo... dans un sens et dans l'autre. Tout est prêt. Ma carte est tellement usée, que j'ai du mal à deviner tous les détails. Enfin j'y suis. Enfin, je suis dans mon Robin DR-400-120 et je file vers le VOR Evreux. Rien à signaler la zone est inactive, je file comme me l'indique la bande automatique sur 119.7. Tiens, c'est un truc nouveau que je ne connaissais pas. Zone inactive -> auto information sur une autre fréquence. Je n'ai vraiment pas fini d'apprendre. Rappelons ici que je n'en suis qu'au début de mon initiation. Un peu plus de 30 heures de vols. Deuxième nav. solo.

A trois minutes d'entrer dans la TMA de Deauville, par habitude, je cherche la fréquence de l'ATIS. Et là, la terreur. Rien sur la VAC. Pas de fréquence ATIS. Comment vais-je avoir l'information ? Qui dois-je contacter ? Au secours. Imaginez-moi. Je suis à 180 km/h - 190 km/h, je file vers une TMA classe E. Je dois prendre contact avec Deauville, même si elle n'est pas de classe D. Ca ferai désordre. Quelle info donner ? Je continue désespérement à chercher la fréquence de l'ATIS sur la VAC. Je cherche sur une autre VAC pour savoir où cela se trouve habituellement. Zut, y-a vraiment rien. Bon, ba on va dire que c'est la TMA qui va me donner les infos ? C'est ça le FIS ? Zut... zut... Allez, de toute façon, il faut que je rentre en contact radio.

- "Deauville, Fox-Tango-Kilo-Uniform, bonjour !"
- "Fox-Kilo-Uniform, bonjour !"
Déjà, ça commence mal, j'ai utilisé l'indicatif à 3 lettres par habitude, car à St-Cyr, il y a plusieurs Kilo-Uniform, alors on rajoute une lettre pour éviter la confusion.
- "Deauville, Fox-Bravo-Tango-Kilo-Uniform, un DR-42 en provenance de St-Cyr à destination de vos installations, 2500 ft QNH 1019, estime l'entrée dans 3 minutes."
J'embellie peut-être un peu, mais je peux tricher.. hein, vous n'avez pas les bandes ? C'est mon récit après tout.

- "Kilo-Uniform, la 30 en service, QNH 1018, affichez 5234, rappelez verticale DVL".
Marrant, il a pas dit Delta-Victor-Lima, mais DéVé-elle. Marrant. On va donc l'appeler DéVé-elle, ce VOR.
- "La 30 en service, 1018 au QNH, 5234 au transpondeur et on rappelle DéVé-Elle". Marrant.
Ouf, il m'a donné les infos. C'est bon à savoir. A Deauville, TMA Active, pas d'ATIS. La 30.. euh.. rapide visualisation. C'est pile poil tout droit. Ca sent même pas l'intégration ce truc. Trop facile... quoique. Rien n'est facile quand on est tout seul dans un avion si loin de chez soi.

- "On passe DVL, Kilo-Uniform".
Ca y-est, je m'y suis fait, j'utilise que deux lettres. Etonnant comme l'esprit peut se focaliser sur des points de détails. Mine de rien, je file toujours à un peu moins de 200 km/h, vers une piste que je ne vois pas. Et pourtant, je m'interresse à cette histoire de 2 ou 3 lettres pour mon indicatif.
Tiens, au fait, c'est vrai. Je ne vois toujours pas ce terrain. Ca serait pratique d'avoir une piste pour se poser... accessoirement. D'après la carte, c'est droit devant, mais la vizi n'est vraiment pas excellente. De la brume partout. V8 qui disait. Pas de piste. Je suis au Cap 300. La 30 en service, je file droit vers le terrain. Ca fera une finale direct, donc..

- "Kilo-Uniform, avec la tour, 118.3".
- "On passe avec la tour, 118,3, merci au revoir".

Avec la tour ? Toujours pas le terrain en vue.

- "Deauville, Fox-Tango-Kilo-Uniform, bonjour !"
Ca recommence cette histoire de Tango. Zut. Zut. S'occuper de la finale. On s'en fout de Tango. Une voix féminine me répond. C'est la 1ère fois. Tout est première fois dans cette initiation.
- "Kilo-Uniform, numéro 1, rappelez en finale pour la 30".

Faudrait déjà que je vois le terrain avant de la rappeler en finale, la dame. Je vérifie encore ma carte. Regarde la VAC. Regarde la 1/500 000. L'autoroute est là. Le terrain devrait être au bout. Je lève le nez, me "tend" pour voir plus loin (genre shift+entrée pour lever le siège dans flight). Rien. Pas de piste. Je m'étais préparé à cette situation : l'angoisse de ne pas trouver la piste. J'avais déjà prévu que si je passais le terrain - sans le voir - alors j'arriverais sur la mer et là, hop, hop demi tour et retour sur le VOR.

- "Kilo-Uniform, vos intentions à Deauville ?"
Et du tac-au-tac, je répond :
- "Un complet madame".
Ooooooooooh l'autre comment il s'y croit ! Ca, c'est IVAO qui est passé par là.

Et doucement, tout doucement, une immense bande d'asphalte se dessine au loin. Ouf. Je suis à peine à droite de l'axe. A peine. 2000 ft QNH. Ca va faire une longue... très longue finale. Je continu ma descente. Tranquille. Je corrige du bout des doigts. Je réduit le régime moteur pour préparer l'avion à atterrir. Je tire la réchauffe. La pompe sur marche. L'aiguille arrive dans l'arc blanc... je sors le cran de volet. Ca descent doucement. Je suis sur le plan (tout du moins je l'estime). Je suis dans l'axe. C'est cool.

- "En finale pour la 30, Fox-Tango-Kilo-Uniform".
- "Kilo-Uniform, autorisez à l'atterissage piste 30, les derniers vents du 020 pour 3 kt".
- "On est autorisé à l'atterrissage piste 30"

Je suis en longue finale. Je tiens ma vitesse. Je sors plein volet. Un peu de gaz pour tenir la vitesse. 140 km/h. Comme j'ai le temps, je regarde un peu autour. Et là, je tombe sur le pont de Normandie. Si près. Et pourtant je ne l'avais pas vu. C'est dingue comme étant élève pilote et absorbé par le pilotage on ne profite pas du tout du paysage. Pas du tout. Il faut revenir à l'atterrissage.

Bon, c'est pas tout ça, mais faut le poser ce DR-400. Le seuil de la 30 est décalé. Bon dieu, elle est immense cette piste ! Je ne suis habitué qu'au bande gazonnée, moi monsieur ! Crévindiou... J'arrive sur la piste. J'avale le seuil décalé, ça n'en finit pas... je passe le seuil... on doit être à 15 mètres... je mets plein ralenti... on descent doucement... Ca sent le Kiss !!!!

On s'en fout du Kiss... on veut juste le poser correctement. La ligne centrale est là et je "m'amuse" à la viser. Ca ralenti, je suis au centre, je tire le manche, quelques mètres... l'arrondi... l'avertisseur... à peine... quelques centimètres encore... et je touche. Posé ! Pas cassé ! Sur la ligne ! Le contrôle au palonnier est plus simple sur ce tricycle comparé à mon DR221. Ca roule... je freine doucement. Je ne prend aucun risque. Tranquille. J'ai passé le taxiway. De toute façon, la piste est tellement large.

- "C'est contrôlé, Tango-Kilo-Uniform"
- "Faite demi-tour et remontez. Rappelez piste dégagée".

Ensuite, cela ressemble plutôt à un sketch qu'à de l'aviation. J'ai quitté la piste et la dame m'a dit :
- "Kilo-Uniform, avec la placeur, quittez au revoir !"
- "Kilo-Uniform, on a visuel sur le placeur, on quitte au revoir".
Je vois un homme avec une combinaison bleue marine de "pompier" avec deux grandes raquettes de ping-pong m'attendre. "On a visuel sur le placeur". Bah voyons, visuel... Faudra trouver une phraséo plus adéquate la prochaine fois.

Donc, le placeur me fait signe. En fait, il me fait DES signes. En fait, il est face à moi et il agite sa main droite, avec le bras gauche tendu. Vous suivez ? (Je vous imagine lire ce récit avec le bras droit s'agitant au dessus de la tête et le bras gauche tendu). Le truc évident qui laisse comprendre qu'il faut que j'aille vers la droite. Clair. Limpide. Sauf que je ne pige pas. Un "follow me" déguisé en pompier avec deux raquettes de ping pong, c'est une chose que je n'ai jamais pratiqué ! En plus, il y a un monde fou au parking de Deauville. Des robins, des mooney, des katana, des bi réacteurs d'affaires. Mais qu'est-ce-que je fous là !

Au lieu d'aller vers la droite pour prendre la ligne au bout, je prend la mauvaise option. Je me dirige vers le placeur ! L'erreur. Il s'agite encore plus. Mais maintenant, il est caché par un autre avion et je ne vois que les raquettes de ping pong s'agiter. Des pilotes et des passagers sont en train d'embarquer dans un TB-9. Ils me regardent un peu angoissés. Je commence à zizaguer. Le placeur est invisible,maintenant. Je ne vois juste que par moment les raquettes par dessus un bi réacteur Bombardier. Enfin, pris d'un éclair de génie, je comprend - qui a dit enfin ?- ce qu'il voulait me dire : "file sur la ligne du bout, mon gars et après vient vers moi avec ta bétaillère". Oki Doki. Je pile. 1400 tours et je tire le frein. Les 2 ou 3 personnes sur le parking en train de monter dans le TB9 m'ont pris pour un fou. Maintenant, je me demande s'ils ne se sont pas marrer. Je braque (comme en voiture) à fond pour retrouver la ligne "du bout". Le placeur est là. Je roule doucement.

"Dernier virage" (pour les PNC)

J'avance vers l'homme aux raquêtes qui s'agitent. Et je me dis que je ferais mieux de mettre la main sur les freins, sinon ca va faire des copeaux !


Je viens de couper les moteurs.
J'ai repris ma respiration. Puis j'ai sortie mon appareil photo.

1h09 de vol pour l'aller. Je coupe le moteur (y-en a qu'un ;-) ). Attention, le fétichiste rentre en action. Au bureau de piste pour payer la taxe (8 euros, merci le placeur) puis au bar pour prendre un coca (on évite la bière). Je garde le reçu et la facture. Ca me fera un souvenir. Je garde tout ça soigneusement. Mais pas le temps de traîner. J'avale le Coca sur la terrasse de l'aérodrome. Je prend 2 ou 3 photos du parking. Et quel parking ! Et il est temps de repartir dans l'autre sens.


Au parking de Deauville. Coincé derrière de très (très) jolies jouets


"Kilo-Uniform, information trafic, un trafic inconnu dans votre espace"
"On a visuel sur un trafic dans nos 8 heures, Kilo-Uniform".
"Kilo-Uniform, je ne vous ai plus sur mon radar, je ne peux vous dire où est le trafic".
On en restera là. Je regarde de partout. Je controle mon altitude. Je regarde le conservateur de cap. Un oeil sur le régime. Un oeil pour rester sur l'axe 120 du VOR de Deauville. Je repars dans l'autre sens. Et ça se complique.

Puis plus tard, "Kilo-uniform, information trafic un trafic IFR passera dans 5 minutes le VOR à 2000 QNH".
Bien sûr, je suis aussi à 2000 ft QNH. Bien sûr je me dirige vers le VOR, et bien sûr, j'y serais dans quelques minutes. Ba voyons.
"On va descendre à 1500 ft QNH, si vous le souhaitez, Kilo-Uniform"
"OK pour 1500 ft QNH, ca devrait le faire".
Ca a interet à le faire !
"Kilo-Uniform, rappelez pour quitter".

Et puis, à la radio à Deauville, il y a des trafic IFR bien sûr, mais aussi des trafics en anglais. Et je peux vous assurer qu'IVAO à côté c'est la rigolage. Rien compris. Du tout. Un blanc... le contrôleur répond un truc. Je capte 3 ou 4 mots. Pas sûr. Du coup, j'hésite à prendre la parole, des fois qu'il y aurait une question et que le pilote anglais doivent répondre. Ca m'a fait un choc. Moi qui croyais m'en sortir un peu. Va falloir pratiquer.

Maintenant, je (re)file vers Evreux. Je m'attends à ce que la zone soit inactive. Et toc, un monsieur me répond. Nous sommes 3 ou 4 à prévoir la verticale. On se marche un peu sur les pieds. Evreux répond quand il a envie. Ca cafouille pas mal. Tout le monde se pointe à 2000 ft QNH. Tout le monde répète ses messages 3 ou 4 fois, puisque Evreux répond, puis disparait, puis revient. Tout le monde à son code transpondeur. Mais bon, tout le monde arrive à la même altitude. Je ne vois aucun autre trafic. Ca vient des quatres coins cardinaux. Tout seul, je décide de monter un poil. 2400 ft. 400 ft ça suffira ? J'en sais rien. Il suffit qu'un des avions n'ai pas bien réglé son QNH... m'enfin... restons groupés. Un transal s'annonce en finale pour la 04. Je jette un oeil sur Evreux. C'est bouré de Transal et de C-130 ! Superbe. Mais je ne tiens pas trop à rester là avec tout ce monde qui se pointe et qui gentiment va se croiser verticale du VOR. C'est ici également que j'ai commencé à perdre TOTALEMENT pied avec mes estimé. Ca donne :

"Kilo-Uniform estimé à 2 ou 3 minutes de la verticale.".
Après avoir dit gentiment ça, je me rend compte que je suis à 3 minutes de pénéter la zone. N'importe quoi. Tranquillement, ensuite :
"Kilo-Uniform estimé à... 5 ou 6 Minutes de la verticale". Ba voyons, ce sera plutot 10 minutes. N'importe quoi.
Je reprend mon log de nav. Je recompte. Et me mets à douter sur toutes les additions. Dans un récit précédent, un des premiers, j'avais dit que je n'étais pas capable de faire une addition correctement, lorque j'étais aux commandes. C'était vrai. Et ça continu. Je refais tout. Et me goure de nouveau. Puis j'arrête. Calme. On respire. Où sommes nous ? Quelle est cette route ? On arrive sur le VOR, quelle radiale ? On passe le VOR, on sort à quel cap ? J'en discuterais avec Xavier (mon instructeur, pour ceux qui débarque). Et il me confirmera l'importance de savoir où on est sur la carte. Les basiques. Revenir aux basiques.

Ensuite, j'ai retrouvé mon jardin. Avec cette appréhension de dépasser St-Cyr et de foncer dans la TMA de Paris. Blurps. Le reste est presque habituel. L'information HOTEL pour l'ATIS de St-Cyr. L'arrivé à 3 minutes du secteur nord. Le passage des Serres, la base 12 main gauche. Du classique.
"En finale 12, Tango-Kilo-Uniform"
Je suis aligné sur la 12 gauche. Pourquoi pas, fallait bien en choisir une, nan ?
"Tango-Kilo-Uniform, autorisé atterrissage 12 droite..."
Ca n'a pas loupé. Clic-Clac... je m'axe sur la 12 droite. Après tout ce que je viens de vivre, c'est une formalité. La vitesse... le dernier cran de volet... Je passe l'autoroute, le seuil, le plein ralenti... je cabre... l'avertisseur... j'épouse la 12 droite...


Le concours classique du centrage de roue sur la ligne...


2h15 de vol. J'écris "2h15" et j'ai encore des frissons. 2h15 de solo. Presque 150 nm de nav.

Posé 2 fois. Pas Cassé 2 Fois. Et pas perdu.
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